Violences policières, manifestations réprimées… Que se passe t-il au Nigeria ?

Nigeria

Une vidéo diffusée le 3 octobre montrant un Nigérian tué par des policiers présumés a embrasé le pays. Depuis deux semaines, les manifestations se poursuivent malgré une sévère répression des forces antiémeutes.

Quelle est l’origine de la contestation populaire au Nigéria ?

Sur la vidéo en question, des policiers, présumés de la SARS, brutalisent deux jeunes hommes et abattent l’un d’eux à Ughelli, dans l’Etat du Delta.
Les images deviennent virales et entraînent un millier de témoignages d’internautes, eux-mêmes victimes de brutalités policières. En quelques jours, le hashtag #EndSARS, devient l’un des plus partagés au monde en une après-midi sur Twitter.

Comment s’organise cette contestation populaire ?

Suite à la circulation de la vidéo, depuis près de deux semaines maintenant, des milliers de manifestants se sont rassemblés pacifiquement dans les rues de plusieurs grandes villes du Nigeria. La mobilisation est alors réprimée dans le sang par les forces antiémeutes : l’AFP indique au moins 18 morts à l’issue de ces marches, dont deux policiers.

La première mobilisation date du 8 octobre, quelques jours après la publication de la vidéo, qui a fait deux morts à Ughelli. Le 11 octobre, la contestation s’étend à l’international par le biais de la diaspora nigériane à Londres qui organise une manifestation.

Le 19 octobre, l’aéroport international de Lagos et la majorité des axes routiers sont bloqués, provoquant des embouteillages monstres. Les écoles sont fermées. Le lendemain, qualifié de « mardi sanglant » par la presse locale, plus de 1 000 manifestants rassemblés pacifiquement sur un péage à Lagos sont dispersés par des tirs à balles réelles, après l’entrée en vigueur d’un couvre-feu total imposé pour éteindre le mouvement.
A l’heure actuelle, 25 blessés sont soignés dans trois hôpitaux de la ville, selon le gouverneur de l’Etat de Lagos, Babajide Sanwo-Olu.

Qu’est-ce que la SARS, cette unité de police controversée au Nigeria ?

La Brigade spéciale de Répression des Vols, ou SARS, est une unité controversée de la police, accusée de racketter la population, d’arrestations illégales, de torture et même de meurtre. Elle a été dissoute officiellement le 11 octobre par le gouvernement, en réaction aux manifestations.

Les plaintes contre cette unité de police créée en 1984 existent en réalité depuis plusieurs années. En 2017, une campagne en ligne avait été lancée pour dénoncer ses agissements, répertoriés, entre autres, par Amnesty International en 2014 dans un document sur la torture au Nigéria.

« Ces policiers sont devenus eux-mêmes des criminels qui s’en prennent à des personnes innocentes, se livrent à des exécutions extrajudiciaires… Ils font des choses impensables comme le waterboarding (torture qui consiste à interroger une personne en la faisant suffoquer dans des simulacres de noyade) » explique l’universitaire Nana Nwachukwu auprès de France-Info Afrique.

« Ils ciblent les jeunes : s’ils ont l’air d’avoir de l’argent, si vous portez des dreadlocks ou avez des tatouages, ils vous arrêtent au prétexte que vous ressemblez à un criminel… Ils interpellent en s’appuyant sur l’apparence des gens », poursuit-elle.
La dissolution de cette unité de police n’a pas calmé les manifestants, de plus en plus nombreux. Car ils veulent obtenir justice pour toutes les victimes de la SARS. Certains réclament davantage de liberté et des avancées sociales dans ce pays qui compte le plus grand nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté au monde et un chômage des jeunes massif

Comment a réagi la communauté internationale ?

L’Union européenne (UE) et l’ONU ont condamné les violences, l’UE jugeant « crucial que les responsables de ces abus soient traduits en justice et qu’ils aient à rendre des comptes », l’ONU appelle à « la fin des brutalités et des abus policiers au Nigeria ».
En Afrique du Sud, près de 400 manifestants, nigérians pour la plupart, ont exprimé ce mercredi 21 octobre leur indignation à Pretoria et au Cap, au lendemain de la répression sanglante du mouvement contre le pouvoir central.
Le candidat à la présidentielle américaine Joe Biden a appelé « le président Buhari et les militaires nigérians à cesser la violente répression des manifestants au Nigeria, qui a déjà fait plusieurs morts », dans un message écrit sur son site internet.
La chanteuse Rihanna s’est également indignée de la situation : « Je ne supporte pas de voir la torture et la brutalité qui continuent d’affecter nos nations », a écrit la star américaine sur Twitter. « Mon cœur est brisé pour le Nigeria (…) je suis si fière de votre force et pour ne pas laissez tomber votre combat pour ce qui est juste », a t-elle ajouté.